PARTI COMMUNISTE DU BENIN (P.C.B)

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Le 1er Secrétaire Cotonou, le 16 février 2012 

Philippe NOUDJENOUME

 

ADRESSE

Aux Travailleurs,

A la Jeunesse estudiantine et scolaire

Aux Responsables des Organisations syndicales de Travailleurs 

Aux Responsables des Organisations syndicales de la Jeunesse 

Je me suis engagé, depuis les dernières élections présidentielles et particulièrement après la réalisation de la grande fraude ayant conduit à l’usurpation du suffrage populaire par Boni YAYI, à m’adresser personnellement et régulièrement aux travailleurs et au peuple pour la poursuite des combats de notre émancipation. Boni YAYI, après cette attaque réussie contre la démocratie en mars 2011, s’est lancé dans une entreprise de Refondation de l’autocratie sur le pays et qui se traduit par une vaste offensive contre les libertés collectives, syndicales, le droit de grève notamment, et contre le pouvoir d’achat des travailleurs et des populations, pouvoir d’achat attaqué sans compensation par les conséquences de réformes hasardeuses qui n’ont d’autres motifs que de satisfaire les appétits gloutons de groupes mafieux étrangers et locaux autour du Chef de l’Etat. Les opposants sont harcelés de toutes parts, dans leurs entreprises économiques, syndicales, politiques. Les provocations se succèdent afin d’obtenir la reddition de toute opposition. Et pour couvrir la provocation et l’arrogance autocratique, Boni YAYI parle de main tendue et de dialogue social. Des hommes et partis politiques, toute honte bue, accourent dans la mouvance présidentielle pour assouvir des intérêts qui sont loin d’être ceux des travailleurs et des peuples.  

Je reviendrai en un autre moment sur la duperie de la main tendue d’un fraudeur impénitent à ses victimes. Dans la présente adresse, je voudrais examiner avec les travailleurs, la jeunesse étudiante et scolaire et leurs responsables syndicaux le concept et la mise en œuvre par le pouvoir de Boni YAYI du dialogue social et de la négociation permanente. Avec l’espoir que cet examen ouvrira la voie à un bilan de la participation des organisations syndicales à ces structures afin de pousser plus en avant les luttes pour l’émancipation des travailleurs et du peuple et le décollage économique de notre pays. 

LE CONCEPT DE « DIALOGUE SOCIAL » AU BENIN :  

UN OUTIL DE DUPERIE DES TRAVAILLEURS ET DE COMPROMISSION DES RESPONSABLES SYNDICAUX 

Cela fait plus de trois semaines que les enseignants du primaire et du secondaire sont en grève pour exiger le bénéfice de la revalorisation des indices salariaux décidée d’accord parties avec les centrales syndicales en juillet 2011. Avant cette grève plus large, les contractuels locaux reversés en agents contractuels d’Etat étaient déjà en grève pour exiger l’application des mesures décidées d’accord parties pour leur formation adéquate. Et pourtant, les 29 et 30 décembre 2011, soit moins d’un mois auparavant, s’étaient réunis les Conseils Sectoriels de Dialogue Social (CSDS) des ministères de l’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire. Alors, à quoi servent finalement ces structures de dialogue social ?

On peut se rendre compte, pour ne prendre que ces deux cas, que le dialogue social prôné par le pouvoir, notamment celui de Boni YAYI, n’est que vaines paroles pour obtenir le consentement des travailleurs à leur propre exploitation et oppression à outrance. Il convient alors que les travailleurs et les responsables syndicaux attachés à la cause des travailleurs se déterminent à faire le bilan de leur participation.

Le dialogue social est un concept et une pratique mis en avant par les pouvoirs de la grande bourgeoisie européenne et américaine avec la création de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en 1919, au lendemain de la révolution ouvrière en Russie en 1917 afin de prévenir et de régler les conflits employeurs-employés au profit du système en place, de les empêcher d’aboutir à des révolutions et à la remise en cause des intérêts des patrons. La révolution ouvrière en Russie, comme on le sait, est l’expression de la résolution au profit du prolétariat, de l’antagonisme fondamental des intérêts entre bourgeoisie et prolétariat. Pour conjurer une telle issue, il faut créer une institution de conciliation de classes bourgeoisie-prolétariat ; une institution pour endormir le prolétariat et le faire consentir à son statut permanent d’esclave salarié condamné à ne revendiquer que des miettes pour de meilleures conditions de vente de la force de travail. L’OIT, créée en 1919, deviendra une des premières organisations spécialisées de l’ONU et travaille à « renforcer le tripartisme (Etat-Patronat-Employés) et le dialogue social ». Il s’est intensifié dès ce moment une lutte âpre entre les deux formes de syndicalismes : le syndicalisme révolutionnaire œuvrant pour le changement du système d’exploitation et d’oppression en place et le syndicalisme opportuniste (de collaboration de classe) des bonzes syndicaux s’engraissant des miettes de l’exploitation et du pillage de la classe ouvrière ; la bourgeoisie usant (à côté de la répression) de ruses, de corruption, de harcèlement pour faire tomber les syndicalistes de combat révolutionnaire dans l’opportunisme.

Au lendemain de l’implosion de l’Union Soviétique et du triomphe de la contre-révolution à l’échelle planétaire, le concept de dialogue social et, avec lui, la négociation permanente sont devenus des outils de pression supplémentaire sur les travailleurs. Au point où des opportunistes en sont arrivés à imposer dans certains syndicats que leur ligne d’action fondamentale n’est plus l’organisation des luttes pour à terme la libération de la force de travail, mais la négociation et le dialogue devenus des objectifs en eux-mêmes. Cette ligne suppose qu’il n’y a plus rien de fondamental qui oppose les parties en conflit, que le système en place est favorable aux travailleurs et à la jeunesse et qu’il faut la collaboration des classes, de chacun et de tous dans le dialogue et la concertation permanents.

Que les négociations soient nécessaires dans le combat, cela ne fait point l’objet de doute. Le syndicalisme révolutionnaire ne rejette ni ne refuse a priori le dialogue ou la négociation avec le patronat et les autorités au pouvoir. La reconnaissance par les autorités de sa représentativité et donc de sa place dans les négociations est généralement un acquis à l’issue de combats. Mais le syndicalisme révolutionnaire ne considère pas cette reconnaissance et la représentation comme des fins en soi. Il soumet la représentation au dialogue et aux négociations à des conditions, non seulement au niveau des autorités, mais également au niveau de ses propres délégués. Héritier de toutes les traditions de probité et de démocratie de bon aloi (où par exemple l’envoyé doit rendre compte de sa mission jusqu’aux détails de l’accueil et de traitement), le syndicalisme révolutionnaire exige des délégués au dialogue et à la négociation, ainsi qu’à tout autre organe de représentation, le compte rendu régulier et systématique aux bases et aux travailleurs de leur participation et des résultats des négociations. Les délégués, à leur tour acceptent ce contrôle pour une éducation collective des travailleurs et le développement des luttes émancipatrices. Et lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas actuellement, non plus de missions ponctuelles, mais de délégations de longue durée au dialogue permanent, il faut la vigilance pour ne pas se laisser distraire par les autorités avec la conviction que le seul antidote, c’est se soumettre au contrôle de ses mandants par des comptes rendus réguliers de ses activités de représentation.

Mais, que nous offre la réalité ? Qu’observons-nous concrètement depuis, notamment sous le pouvoir de Boni YAYI ? Il a été créé, à côté de l’organe constitutionnel de dialogue, le Conseil Economique et Social, une flopée d’institutions de dialogue et de concertation.

Au plus haut sommet de l’Etat, on a le Médiateur de la République, le Haut Commissariat à la Gouvernance Concertée, le Haut Commissariat à la Solidarité Nationale, l’Autorité Chargée des Cultes, etc. De façon informelle, il y a le recours régulier aux Hauts dignitaires, catholiques, évangélistes, musulmans, traditionnels.

Au niveau des ministères, il y a la Commission Permanente de Négociations Gouvernement-Travailleurs, la Commission Paritaire de la Fonction Publique, la Commission Paritaire du Secteur Privé, les Conseils Sectoriels de Dialogue Social, les Cadres de Concertation à des niveaux divers.

On sait que les institutions au sommet de l’Etat (Médiateur de la République, Gouvernance Concertée, Solidarité Nationale…) sont des sinécures pour occuper et donner à manger à de vieux hauts-bourgeois alliés à Boni YAYI. Quant aux Commissions et Conseils Permanents de Dialogue Social ou de Négociation avec les travailleurs, il est à remarquer que le pouvoir de Boni YAYI ne s’en sert que lorsque cela lui convient. A la limite, ils ne servent que comme corruption douce à travers les primes de participation payées aux participants. En effet, l’existence de Conseils de Dialogue Social ou de Commission Permanente de Négociation n’a jamais empêché YAYI de lancer la troupe contre les grévistes, de remettre en cause les avantages acquis, d’envoyer les chars contre la Bourse du Travail, d’attaquer les droits acquis de grève et autres, d’en appeler au Haut Commandement Militaire et à la hiérarchie religieuse dans les conflits. La Gouvernance Concertée n’a pas empêché Boni YAYI de frauder et d’usurper le suffrage populaire lors des dernières présidentielles. L’existence de structures de dialogue n’a pas empêché Boni YAYI et, ensuite, ses ministres de vilipender et d’humilier des corporations entières d’Etat comme la Douane ou la Justice. Le pouvoir frappe et tue, il ne parle de dialogue et de paix que dans le cadre du respect du système d’arriération, de domination impérialiste et de gestion du pillage des ressources du pays ou simplement, lorsque momentanément, il se trouve en position de faiblesse.

Le pouvoir de Boni YAYI reste sourd à toute revendication mettant en cause le système de domination étrangère et la gestion de pillage du pays. Boni YAYI a-t-il reculé après que toutes les centrales syndicales aient, dans une gigantesque manifestation de rue encore en 2010, exigé la cessation des « lâches négociations avec le FMI et la Banque Mondiale, l’arrêt des privatisations des secteurs vitaux de l’économie, la publication des résultats des audits des entreprises publiques ainsi que les rapports des commissaires aux comptes » ? Boni YAYI ou ses nombreuses structures de dialogue social ont-ils « dialogué » sur les affaires CEN-SAD, Machines Agricoles, DANGNIVO ou tout dernièrement pour prendre une loi scélérate contre le droit de grève des douaniers ? Force est donc de constater que seul le pouvoir détient l’initiative de ce dialogue, de la réunion des structures et de la mise en œuvre des conclusions. Et celles-ci ne sont mises en œuvre que si elles ne remettent pas en cause les intérêts des hommes au pouvoir et le système de pillage économique du pays.

La présidence de ces structures permanentes de dialogue est généralement assumée par une autorité du pouvoir et, dans tous les cas, les assemblées se réunissent à la décision voire la volonté des autorités. L’ordre du jour est retenu, libellé et conduit par ces autorités. Les représentants des travailleurs, d’étudiants ou d’élèves, les responsables et délégués syndicaux (parfois il est exigé que les interlocuteurs ne soient que les secrétaires généraux en personne) désignés de façon permanente pour siéger dans ces commissions peuvent ne pas être auparavant au courant ni suffisamment compétents sur les sujets à débattre. Et comme ils doivent siéger en personne, ils deviennent comme des fonctionnaires en poste dans ces structures. Et dès qu’ils se soustraient du contrôle de leurs mandants, dès qu’ils ne rendent pas compte publiquement et régulièrement à leur base et aux travailleurs des résultats des négociations, dès qu’ils ne soumettent pas à l’examen et à l’appréciation de leur base les positions défendues et les conclusions retenues en ces instances en vue de la poursuite de la pression sur les autorités, les représentants syndicaux se transforment en bureaucrates, en obstacles au déploiement des initiatives des travailleurs et de la jeunesse. Arrivés à ce point, le pouvoir peut les mépriser sachant qu’ils sont coupés de leur base. Et si par ailleurs, certains ne reculent pas devant l’appât du gain facile, recherchent des privilèges personnels, courent derrière les perdiems accordés à l’occasion ou, pire, se laissent corrompre par les dessous de table que Boni YAYI n’hésite pas à distribuer, les conseils et structures permanents de dialogue social et de négociation deviennent des chambres de complots où pouvoir et responsables syndicaux bureaucrates recherchent en complicité les meilleurs moyens de duper et de mieux pressurer les travailleurs et assujettir la jeunesse.

Aujourd’hui, il s’impose aux travailleurs de faire le bilan de leur travail au niveau des structures de dialogue social. Un tel bilan s’étend à la jeunesse. Le pouvoir de Boni YAYI gouverne en autocrate, maintient le système de servitude coloniale du pays. Le bilan des cinquante ans d’indépendance et des vingt ans du Renouveau est sans appel. Ce que défend Boni YAYI, ce ne sont pas les intérêts du peuple ni du pays mais, ceux des monopoles étrangers, des Bolloré et d’une clique de prédateurs mafieux et ceux notamment visant la pérennisation de son pouvoir politique à la tête du pays. Le pays est conduit dans le gouffre avec une misère accrue des travailleurs et des populations. Il s’impose alors aux travailleurs et au monde syndical un bilan de leur participation au sein des structures de dialogue social avec Boni YAYI. Lequel bilan, après un large débat au sein des organisations concernées, devra permettre de répondre aux questions suivantes : Cela sert-il véritablement les intérêts des travailleurs et du pays ? Quels en sont les acquis réels ? Quelles sont les limites de l’utilisation de ces structures par les travailleurs ? Le cas échéant, quelles en sont les exigences en termes de vigilance, de culture, de combattivité et de comptes rendus ? En tout cas, des syndicalistes siégeant en délégués permanents dans des structures permanentes de dialogue social, sans large compte rendu systématique et régulier des travaux soumis à l’appréciation des travailleurs et des bases, courent le risque de tomber dans un piège à cons, de se transformer en bureaucrates, en bonzes syndicaux et donc en obstacles que les travailleurs et les jeunesses finiront tôt au tard par rejeter pour poursuivre leur ascension inévitable vers l’émancipation.

En avant, nous vaincrons !

Philippe NOUDJENOUME

Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin.