Conflits récurrents entre agriculteurs et bouviers
La responsabilité des propriétaires des bœufs et de l’Etat engagée
1) Le 20 mars 2023, un drame épouvantable s’est produit à SOCLOGBO dans la commune de Dassa-Zoume. Selon le reportage de plusieurs journaux : Quatre personnes ont été tuées, des bétails et maisons brûlés dans un affrontement sanglant entre cultivateurs et éleveurs. Ces évènements ont démarré quand un jeune cultivateur demande à un bouvier peul d’évacuer son champ où il faisait paitre ses bœufs ; ce dernier ayant mal pris cette demande l’a tué d’un coup de machette. En colère, les ressortissants du village ont voulu venger l’un des leurs en rasant le campement des bouviers. Ceci a entrainé des morts et des blessés et plusieurs maisons brûlées. Informée, la police républicaine aurait dépêché un peloton de 170 policiers pour ramener la paix.
2) Ces affrontements entre populations de cultivateurs et bouviers deviennent récurrents et tendent à se généraliser sur l’ensemble du territoire. Il y a quelques jours, un chroniqueur écrivait : « Les peuhls transhumants dévastent les champs et fusillent nos populations dans la vallée de l’Ouémé sans la moindre réaction du gouvernement de la dictature. » Dans une lettre ouverte de l’Union Paysanne GAMESU-MISITE de Lokossa adressée au maire de la même commune en date du 25 octobre 2021, on peut lire : « Le mercredi 22 septembre 2021, sous la direction du sous-comité de l’Union Paysanne GAMESU-MISITE, un mouvement inédit et irrésistible de la population de Houin dans la Commune de Lokossa, s’est lancé à l’assaut des bœufs et bouviers du richissime H4 de Lokossa. Ce troupeau de plus d’une centaine de têtes basé à Dédékpoè dans la Commune d’Athiémé, sous l’effet de la crue du fleuve Mono, a été frauduleusement introduit dans l’Arrondissement de Houin à la hauteur du lac Toho, dans le village de Duimè. En une journée, des champs ensemencés de maïs à un mois et demi d’âge ont été entièrement dévastés, tout le périmètre saccagé et laissant apparaître le taudis dans une totale nudité. » Dans une correspondance tirée du numéro 457 du 10 juin 2022 de la Flamme, on peut lire : « En un mois, dans la commune de Tchaourou, les populations ont été témoins de sanglants affrontements entre bouviers peulhs et agriculteurs. Ces affrontements ont entrainé 05 décès, plusieurs blessés et des dégâts matériels. Le 05 mai, dans l’arrondissement de Kika à Kpari, un paysan est tué à coups de machette par des bouviers alors que celui-là chassait un troupeau de bœufs qui a envahi son champ et détruisait ses plants. Alertés, les gens du village viennent à la rescousse de la victime. L’affrontement entre bouviers et agriculteurs occasionne 04 morts et plusieurs blessés. Le 03 juin, dans l’arrondissement de Tchatchou, un agriculteur est assassiné par des bouviers. La victime chassait de son champ un troupeau de bœufs qui dévastait ses plants. Après le meurtre, les bouviers désertent le camp peulh de peur de subir la vindicte populaire. La réaction de la population ne s’est pas faite attendre : les habitats des bouviers ont été saccagés. » Dans une déclaration en date du 15 mars 2023, l’association paysanne GBETROBOU du Couffo déclare : « Cette année, dans la commune de DOGBO et plus précisément à Dévé les bouviers ont charcuté un pauvre paysan qui portera pour le reste de sa vie les séquelles de ses blessures. Dans la commune de DJAKOTOME à Kpoba, une paysanne a été blessée la nuit par les bouviers. Dans la commune de KLOUEKANME à Lanta dans le village de Tohoungodohoué, une adepte de Sakpata a été frappée par un bouvier peulh. Dans la commune d’APLAHOUE à Wakpé, les femmes regardaient les bœufs détruire leurs cultures sans oser crier car elles ont peur des peulhs. Des hectares de champ de manioc et de pois d’Angole sont détruits. A TOVIKLIN, dans la commune de Houédogli, les bœufs ont fait d’énormes dégâts. »
3) Comme on le voit, il s’agit d’un phénomène social nouveau de grande importance. Certes, dans les années passées, on parlait d’affrontement entre agriculteurs et éleveurs ; mais c’était au moment de la transhumance saisonnière où les éleveurs venaient du nord vers le sud pour faire paitre leurs bêtes et repartaient avec elles. Aujourd’hui, ce n’est plus la même chose. Autrefois, dans le centre et le sud de notre pays, l’élevage de bovins n’était pas très développé. Seuls quelques rares notables possédaient des bœufs et notamment les chefs cantons. Les gens trouvaient bizarre de boire du lait d’un animal comme la vache, et c’était un objet de curiosité quand ils voyaient les bouviers le faire pendant que personne ne connaissait alors le wagashi. Avec le développement du capitalisme et souvent avec l’argent souvent mal acquis qu’il faut placer et recycler, beaucoup d’acteurs de la classe politique se sont lancés dans l’élevage de bœufs. Dans le nord du pays, les Barthélémy KASSA, Charles TOKO, Ousmane BATOKO etc. possèdent de gros élevages de bœufs. Dans le département de l’Atlantique, on a les DASSIGLI, HOUDE, ADJOVI Cervais etc. Dans le département du Mono, on a le ministre Romuald WADAGNI, le député DAKPE SOSSOU, l’homme d’affaires H4 de Lokossa etc. Au niveau du COUFFO, on a le préfet Christophe MEGBEDJI, l’ancien maire LONMADON et d’autres dignitaires dont les bœufs font des dégâts dans les champs des paysans. On voit donc qu’on est complètement à côté de la plaque quand on continue de parler de transhumance à propos de ce phénomène nouveau. Non, il ne s’agit plus de transhumance. Dans cette affaire, nous avons à faire à de gros bonnets qui ont décidé de faire de l’élevage et au lieu de construire des enclos pour leurs animaux et de les nourrir, ont décidé de les envoyer s’approvisionner dans les champs des pauvres paysans. Pour cela, ils recrutent des bouviers, généralement peuls à qui ils confient les bœufs et qui en réalité ne sont que de simples ouvriers au service de leurs patrons ; ils ne sont pas propriétaires des bœufs.
4) Voilà pourquoi quand le champ du paysan pauvre est dévasté et qu’il va au commissariat ou au tribunal, c’est le pot de terre contre le pot de fer. C’est ce qui s’est passé à Lokossa en 2021 comme le rapporte si bien la déclaration citée plus haut : « Depuis février 2021, à l’audience que le Maire Hounkpè H. Gervais a accordé à l’Union Paysanne (UP) GAMESU-MISITE, la population de Houin voyait le drame venir lorsque le Maire avait déclaré : « Si les bœufs arrivent dans vos champs, venez me porter d’abord l’information ; ne tuez aucun, ne blessez aucun ». Nous comprenons maintenant que l’instruction de la police s’inscrit dans le même registre que la déclaration du Maire et justifie l’information que la Mairie percevrait une taxe de cinq cents francs (500F) à mille cinq cents francs (1500F) par tête de bétail pour laisser paître les bêtes. Il apparaît alors clair le reflet d’une gouvernance à double vitesse : la défense des intérêts des riches, possesseurs des troupeaux de bœufs d’une part et de l’autre l’asphyxie des pauvres paysans, les grandes victimes, souvent grièvement blessées ou frappées presqu’à mort par les bouviers assurés de la couverture administrative ou souvent jetées en prison suite à des procès drôles. » Quant à ce qui se passe dans le Couffo, on peut lire dans la déclaration de GBETROBOU citée plus haut : « Lorsque le paysan constate les dégâts le lendemain, il ne sait pas la structure institutionnelle à laquelle il va se confier. Les plus avertis vont au commissariat de police de leur localité pour se plaindre ; mais souvent c’est sans suite favorable. Parfois au commissariat on lui demande l’identité du peulh qui a opéré la nuit, sa taille, bref s'il peut le reconnaitre. On demande au paysan d’apporter les preuves et par ricochet d’aller amener le peulh ou les bœufs. Comment un paysan qui a passé la nuit à la maison peut-il reconnaitre un bouvier qui a opéré dans la nuit profonde ? Mais lorsque le conflit survient et que les paysans blessent ou abattent un bœuf, ils sont poursuivis jusque dans leur dernier retranchement. »
5) En fait, nous avons aujourd’hui au niveau des campagnes, une véritable mafia qui a mis ses genoux sur le coup des paysans pauvres et les empêchent de respirer. En dehors des taxes qui pleuvent sur leur tête, ce phénomène d’élevage par divagation des bœufs des gros bonnets du pouvoir vient les priver de nourriture de base tirée de leurs maigres récoltes. D’ailleurs les commissaires de police honnêtes disent aux paysans : « Nous on ne peut rien car les bœufs c’est pour les grands chefs ». Le seul responsable de cette situation est le pouvoir de Patrice Talon qui la laisse prospérer. En effet tout le monde connait la ferme d’Etat de KPINNOU dans le Mono où les bœufs sont dans leur enclos ; ils n’ont jamais gêné personne, et personne ne se plaint d’eux. Tout le monde sait que l’éleveur de porcs, de moutons, même de poulets assure la nourriture à ses bêtes. Mais les riches propriétaires de troupeaux de bœufs se refusent à assurer l’alimentation à leurs bêtes et les envoient se nourrir des fruits des labeurs du pauvre paysan. Alors, tant que le pouvoir ne mettra pas fin à cet élevage de rente par divagation qui ruine la paysannerie pauvre en obligeant les riches propriétaires à parquer leurs bœufs et leur assurer l’alimentation, des drames comme celui de SOCLOGBO vont se multiplier et c’est lui seul qui sera le seul responsable. En effet à l’instar des évènements de SOCLOGBO les paysans ne se laisseront plus faire facilement. Ils savent que les préfets, les ministres, les députés et les riches compradores des campagnes ont décidé de les sacrifier pour leurs intérêts égoïstes. Malheureusement ce sont les pauvres bouviers peuls qui paient les pots cassés tandis que les gros bonnets eux, sirotent le whisky et le champagne dans leurs bureaux climatisés.
Afia