DÉCLARATION A L’OCCASION DES TRENTE ANS DE LA CONFÉRENCE NATIONALE DE 1990 :
DU MARCHE DE DUPES A L’INSTAURATION D’UNE NOUVELLE AUTOCRATIE.

 

Introduction

Lors de son intervention télévisée le 18 février 2020 à l’occasion des trente ans de la Conférence Nationale, Patrice Talon a déclaré : « Nos habitudes, nous allons les corriger. Nous allons faire plus d’efforts, nous allons faire des sacrifices. Nous allons perdre des choses, des libertés qu’on avait et qui devenaient incompatibles avec l’intérêt général. Nous étions pratiquement dans l’anarchie qui est une forme de démocratie, vous le savez très bien ! L’anarchie est la forme de démocratie la plus avancée. Mais si l’anarchie ne sert pas le développement, on peut mettre fin à ça et dire « Non, que chacun reste dans le droit chemin ». La boucle est donc bouclée et cette intervention crue, indique qu’avec le régime de Patrice Talon, indépendamment du fait que toutes les pratiques indiquaient que nous sommes en présence d’un régime autocratique, l’autocrate lui-même est passé à la théorisation de sa pratique. Ce que théorise ainsi sans phare Patrice Talon, c’est la dictature du développement. Nous sommes ainsi revenus à la période où un seul individu sait ce qui est bon pour le peuple et tous ceux qui s’écartent de cette voie sont considérés comme des anarchistes. Sous Le PRPB on les appelait des anarcho-gauchistes. Trente ans donc après la chute du PRPB de Mathieu KEREKOU, notre pays retourne dans les travers du parti unique, avec aujourd’hui un parti à deux ou plusieurs têtes, une justice aux ordres, une presse aux ordres ou sous pression et des institutions soumises à l’autocrate, les opposants embastillés ou en exil. C’est donc le serpent qui se mord la queue puisqu’avec Patrice Talon, nous sommes pratiquement revenus à la case départ trente ans après la Conférence Nationale.
Depuis quelques jours, des initiatives sont prises à gauche et à droite pour célébrer le trentième anniversaire de la Conférence Nationale. L’orientation générale donnée à ces diverses célébrations, c’est de valoriser le rôle éminent joué par Mathieu KEREKOU, le clergé catholique avec Monseigneur Isidore de Souza, et de montrer en opposition sans trop le crier, puisque la liberté de parole n’existe plus, le mauvais rôle qu’est en train de jouer le « méchant » Patrice Talon aujourd’hui. En donnant une telle orientation à toutes ces célébrations, on s’occupe de l’écume au lieu d’aller dans le fond des choses ; on se refuse à réfléchir à pourquoi Talon a réussi à imposer à notre peuple une nouvelle autocratie.

Car, à la fin de cette Conférence, les acteurs dans leur Rapport Général, avaient proclamé que « nous avons vaincu la fatalité ». Ce qui devait s’imposer naturellement aujourd’hui où nous sommes revenus à la case de départ, c’est de faire comme un bilan, de se poser et de donner, ne serait-ce que des pistes de réponses, aux questions du genre suivant : Pourquoi sommes-nous tombés sous une nouvelle autocratie trente ans après ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Que s’est-il passé ? Un proverbe de la sagesse populaire de chez nous ne dit-il pas justement : « Lorsque l’on culbute, il ne faut pas regarder là où on est tombé, il faut plutôt rechercher et trouver là où on a trébuché » ?
C’est à cet exercice de recherche de là où l’on s’est cogné le pied que s’adonne le présent papier avec la démarche ci-après : Dans quelles circonstances s’est tenue ladite Conférence et quels étaient les enjeux ? Quels en sont les résultats ? Comment, au cours des 27 ans (de 1990 à 2016) avant l’arrivée au pouvoir de Talon, les différents pouvoirs et acteurs sociaux les ont mis en œuvre ?

I- La Conférence Nationale : Instance convoquée par un autocrate vaincu par le peuple pour sauver et maintenir le régime de pillage et de l’arbitraire au Bénin.
Le pouvoir de Mathieu KEREKOU installé après un coup d’Etat en 1972 s’est mué en un pouvoir dictatorial et cruel. Son règne est jalonné de meurtres, d’emprisonnements, de crimes aussi horribles les uns que les autres. Au niveau des gouvernants : emprisonnement des anciens présidents pendant 10 ans, élimination politique de tous les protagonistes du coup d’Etat, assassinat de son ministre de l’Intérieur, Michel AÏKPE. Mais surtout contre le peuple, il a déployé une terreur sanglante : dissolution des organisations démocratiques des jeunes, répression dans le sang des révoltes à Cotonou et à Abomey contre ses crimes, interdiction de toute organisation indépendante du Parti unique le PRPB, de la Centrale syndicale unique (l’UNSTB), de l’Organisation de la Jeunesse unique (OJRB), de l’Organisation des femmes unique (OFRB), des organisations des élèves et étudiants uniques (MRS, MRU et Coopératives), etc. Les crimes de masses contre les acteurs des religions et cultes traditionnels avec la fameuse lutte contre la sorcellerie et la féodalité ont occasionné des milliers de morts anonymes. Les libertés d’expression, de presse, d’association, de manifestation, de culte, de grève étaient réprimées par des emprisonnements sans jugement, des tortures allant jusqu’à la mort.
C’est contre ce régime barbare et dans ces circonstances que s’est dressé, à la tête du peuple, le Parti Communiste du Bénin (alors Parti Communiste du Dahomey), fondé en 1977 sous la direction de Pascal FANTODJI, après avoir tiré les leçons du pourquoi cette autocratie a pu s’imposer contre le mouvement démocratique d’alors. Au moment de la création du Parti Communiste, bon nombre de ses responsables étaient en prison ou en exil. Malgré cette situation, il s’est lancé à corps perdu dans la lutte en étant convaincu que pour en finir avec l’autocratie, il faut ébranler ses citadelles les unes après les autres. Pour cela, il a fallu élaborer et mettre en œuvre une tactique offensive basée sur la mobilisation des masses populaires autour de la défense de leurs intérêts matériels et politiques. Le mot d’ordre général était donc : La Lutte pour le pain et les libertés !
C’est cette lutte conséquente, persévérante, conduite avec abnégation, esprit de sacrifice et de don de soi dans laquelle entraient de plus en plus d’hommes et de femmes, des classes et couches populaires, notamment juvéniles, qui a embrasé tout le peuple et le pays toute l’année 1989. Un aperçu des grandes étapes de cette lutte a été publié le 11 décembre 2019 dans un numéro spécial du journal du Parti, " la Flamme", à l’occasion du trentième anniversaire de l’insurrection du 11 décembre 1989 qui a mis fin au pouvoir autocratique.
Mais lorsque les manifestations populaires commencèrent avec les grèves conduites par les Comités d’Action en décembre 1988 pour durer toute l’année 1989, le général autocrate n’avait plus suffisamment de ressources pour endiguer et encore moins contrer le torrent populaire.
a- Il avait conduit le pays à la faillite économique et financière : la gouvernance autocratique finit toujours par conduire un pays à la faillite économique à cause d’une part, de la perte de l’ardeur au travail des producteurs muselés et traités comme des forçats, et d’autre part du pillage et de la dilapidation, hors de tout contrôle, des ressources du pays par l’autocrate et les hommes de sa cour et de sa basse-cour. La crise économique apparue et reconnue depuis 1983 s’est transformée en une crise financière et à une banqueroute de l’Etat en 1988. De ce fait, les conditions de vie des travailleurs, de la jeunesse, des paysans et artisans s’étaient dégradées avec des retards de salaires à la fonction publique et dans des entreprises publiques.
b- La chasse contre les communistes pour détruire le Parti n’a pas conduit aux résultats escomptés. Malgré la rafle systématique déclenchée en 1985 et poursuivie tout le long avec des actes de tortures, d’assassinat dans les casernes et commissariats transformés en camps de détention, le Parti Communiste se renforçait dans la liaison avec les masses dont les conditions se dégradaient et dont le mécontentement grandissait.
c- Mathieu KEREKOU avait perdu tout crédit moral avec le projet d’importation en 1988 de déchets toxiques et même nucléaires. Au cours même du mouvement de 1989, KEREKOU a tenté de légitimer son pouvoir en organisant en juin 1989 des élections présidentielles dont il était le seul candidat. Malgré le rejet massif du bulletin rouge devant le plébisciter, il se proclama élu à plus de 88 %. Cette fraude flagrante a accru son rejet et indiquait que le pouvoir était fini et qu’il n’avait plus rien de bon à en attendre. Le mouvement populaire prit alors une tournure franchement insurrectionnelle, plus impétueuse.
d- Le général avait perdu le contrôle de l’armée. L’année 1988 a connu l’annonce de plusieurs tentatives de coup d’Etat avec de nombreuses arrestations et détentions des officiers jusque dans les cercles fermés de l’autocrate, son aide de camp et son chef des services de renseignements. Il ne pouvait en 1989 lancer, comme en 1975, les troupes tirer impunément contre les manifestants sans craindre pour sa propre vie.
Ainsi lorsque le 11 décembre 1989, le peuple de Cotonou qui n’avait pas connu de grandes manifestations jusqu’alors, déferla dans les rues, KEREKOU se trouvait complètement désarmé et sa fuite devant les masses le soir du 11 décembre indiquait la chute de l’autocratie.
Toutes les libertés individuelles et collectives confisquées en 1974-1975, d’expression, de presse, de manifestation, d’association, de grève étaient conquises par le peuple contre l’autocratie et dans la rue. Une amnistie générale a été décrétée pour la libération de tous les détenus et le retour des exilés.
Le problème qui était dès lors posé est celui de quel régime politique et quel pouvoir allaient remplacer l’autocratie faillie et vaincue. Deux solutions étaient en opposition : soit le maintien du régime du pacte colonial auquel KEREKOU a refait ouvertement allégeance à partir de 1985, avec quelques concessions de libertés compatibles avec ce régime ; soit un pouvoir des travailleurs et des peuples avec un régime de garantie des libertés complètes, de probité et de patriotisme pour le redressement et le développement du pays.
Cette dernière solution soutenue par le Parti Communiste était celle des travailleurs et de la jeunesse en lutte qui, avec leurs Comités d’Action, exigeaient ouvertement le jugement et le châtiment des tortionnaires, le jugement des pilleurs de l’économie nationale et de leur faire rendre gorge, la garantie des libertés au peuple par le jugement des violateurs de ces libertés ; pour la garantie de la probité et du patriotisme dans la gestion, le contrôle de la gestion du bien public avec l’élection et la révocabilité des responsables chargés de sa gestion. Ces exigences avaient commencé à être mises en œuvre par des Comités d’Action à la campagne par la destitution de maires corrompus et au Ministère des finances pour le contrôle plus strict des ressources publiques.
C’est pour contrer ce mouvement émancipateur et pour résoudre la question du pouvoir en faveur du régime de continuité du pacte colonial que fut convoquée la Conférence à fin de sauver l’autocrate KEREKOU et poursuivre la politique de pillage du pays.

II- La convocation, la tenue ainsi que les résultats de la Conférence nationale n’ont pas dessouché les racines de l’autocratie

La convocation de la Conférence nationale a été précédée de la mobilisation par l’impérialisme français de tous ceux qui avaient dirigé et ruiné le pays depuis 1960 ainsi que de tous ses agents à travers les cercles et groupes rétrogrades sous son contrôle. Et pour bien montrer qu’elle était à la manœuvre, la France par l’intermédiaire de son ambassadeur à Cotonou Guy AZAÏS a pris les choses en main, directement et ouvertement, en envoyant des instructions à l’autocrate qu’il transmettra à Pierre OSHO son directeur de cabinet. Ces instructions contenues dans la note remise au chef de l’Etat le 6 décembre 1989 par son Directeur de cabinet sont les suivantes :
« 1- La Partie française souhaite que les décisions qui vont sanctionner la session conjointe mentionne clairement qu’il sera procédé à une révision de la Loi Fondamentale.
2- Il conviendrait que le chef de l’Etat, dans son discours, ou le communiqué de Session, annonce la tenue d’une Convention Nationale ou d’Etas Généraux, ou d’Assises Nationales… Peu importe la dénomination d’une telle structure, c’est à vous-même d’en décider… Mais il serait bon, si possible d’en indiquer ne serait-ce que sommairement les participants… Je pense par exemple à des professeurs de Droit dont le concours est toujours très utile en matière constitutionnelle, ainsi qu’aux représentants des Eglises, des Syndicats, etc.
6- Il conviendrait aussi d’annoncer que l’ensemble des décisions relatives aux changements constitutionnels envisagés seront ratifiées par l’Assemblée courant février 1990. Il est hautement souhaitable qu’on n’aille pas trop loin au-delà de cette période… En début d’année, c’est le moment propice aux opérations de décaissement des ressources.
7- Nous sommes prêts à vous venir en aide pour financer les activités politiques nationales liées à la mise en œuvre de ces réformes, notamment les Assises de la Convention Nationale. »
Après cette communication des exigences de l’impérialisme français, la session conjointe du Comité Central du PRPB-CEN, c'est-à-dire Parti-Gouvernement qui se tient dès le lendemain décide de l’abandon du marxisme-léninisme comme guide de l’action du gouvernement, de la suspension de la Constitution et la fin du caractère socialiste du régime.
Les manifestations du 11 décembre indiquaient que les temps étaient comptés. C’est le soir de ce 11 décembre 1989 que selon les dires d’un de ses proches conseillers, KEREKOU a réuni tout le staff de son régime pour leur déclarer ceci : « Mes chers amis, le peuple béninois est patient mais il ne faut pas le pousser à bout. Je considère que notre pouvoir est terminé aujourd’hui. Je vais convoquer une Conférence Nationale ».
Pour décider d’un régime de continuité du pacte colonial, il fallait convoquer à cette Conférence en majorité les hommes et structures acquis à l’impérialisme français. Les indications contenues dans la lettre directive de la France du 06 décembre signalaient là où étaient positionnés ses agents et alliés non opposés au pacte colonial, à savoir les représentants des Eglises, des Syndicats, des professeurs de droit. Robert DOSSOU, traitre au mouvement populaire, député puis ministre de l’autocrate fut chargé de trouver les moyens de combattre et d’éliminer les représentants des masse en lutte, les Comités d’Action. Laurent METONGNON, président de la Coordination nationale des Comités d’action sera arrêté par le pouvoir sur la base d’un mensonge grossier du ministre Robert DOSSOU. Etaient convoqués à cette conférence :
- Les dirigeants du Parti-Etat PRPB, les membres de son gouvernement, les chefs tortionnaires de l’armée et de la police ;
- Les anciens Présidents : MAGA, AHOMADEGBE et ZINSOU qui ont réalisé un accord entre eux et avec KEREKOU sous la houlette de l’impérialisme français avant même le début de la Conférence ;
- Le haut clergé avec Mgr de Souza ;
- Tous les hauts bourgeois qui se trouvaient "une sensibilité" pour avoir leur ticket d’accès ;
- Une foule d’intellectuels opportunistes qui voulaient profiter de l’occasion pour participer au partage du gâteau après la Conférence ;
- Des éléments honnêtes qui étaient venus à la Conférence dans l’intention de démettre KEREKOU avec pour toute arme, leur illusion.
Comme souligné plus haut, les organisations populaires, les Comités d’Action et autres bureaux de liaison, qui ont défait l’autocratie étaient exclus. Le Parti Communiste était considéré comme "une sensibilité". Le Parti se devait d’indiquer dès lors aux masses combattantes que la Conférence nationale n’était pas celle des forces vives, combattantes, mais celle des hauts bourgeois et qu’elle ne pouvait déboucher que sur un marché de dupes et le sauvetage de l’autocrate. Que les masses en combat n’aient pas réuni les ressources pour disperser ce marché de dupes, chasser KEREKOU afin de réunir une véritable Assemblée Constituante, de véritables Etats généraux des travailleurs et des peuples, ne change rien à cette caractérisation de ce qui s’est passé du 19 au 28 février 1990 à l’hôtel PLM Alédjo.
Etaient vraiment à la manouvre le groupe serré des anciens Présidents de la République avec le Haut Clergé catholique bien connus pour leur allégeance aux puissances étrangères. Il fallait à tout prix sauver le système de pillage et les pilleurs, le régime de torture et les tortionnaires, ne jamais cautionner la destitution par une lutte populaire d’un Chef d’Etat du sérail français même s’il est, comme KEREKOU, une Calamité nationale. Les résultats des travaux seront acceptés dès lors qu’ils restent dans les limites des libertés compatibles avec les intérêts impérialistes, dès lors que la souveraineté de ses décisions ne sort pas du cadre du pacte colonial et ne demande pas la destitution du chef tortionnaire Mathieu KEREKOU. C’est là le contenu du consensus dont parlent les thuriféraires de la haute bourgeoisie au Bénin. Et les résultats sont restés dans ce cadre.
Ces résultats peuvent se résumer comme suit : Toutes les libertés conquises en 1989 par la lutte ont été consacrées. Liberté de presse, de réunion, de manifestation, de grève, d’association sous la forme du multipartisme intégral. La Loi fondamentale autocratique étant déjà suspendue de même que l’Assemblée nationale "révolutionnaire", le principe de l’élaboration d’un nouvelle Constitution est adopté. Une période de transition d’un an a été adoptée pour la mise en place de nouvelles institutions. Sur le plan économique, le programme d’ajustement structurel du FMI a été proclamé incontournable et le libéralisme économique comme voie de développement. Un nouveau premier ministre a été choisi avec mission de former un gouvernement transitoire qui va conduire les affaires pendant un an, KEREKOU étant maintenu à son poste. Un Haut Conseil de la République (HCR) est institué comme organe législatif transitoire avec mission de faire élaborer par une Commission constitutionnelle la nouvelle Constitution. Les personnages clé de ce nouveau régime dit du Renouveau démocratique étaient constitués du groupe serré cité plus haut, les anciens présidents de la République et le haut clergé avec Mgr de Souza, président du HCR.
Par contre, aucun compte n’a été demandé à KEREKOU et à ses ministres, ni sur le pillage économique, ni sur les horribles crimes politiques commis 17 ans durant. Tout ce qu’ils ont volé est passé par pertes et profit. Les crimes de la dictature, assassinats, détentions arbitraires, tortures, contraintes à l’exil, ont été ignorés. Les tortionnaires et assassins, à commencer par le Chef KEREKOU maintenu au pouvoir, sont d’office absouts sans avoir fait repentance ni pénitence. Le contrôle populaire afin d’instaurer la probité dans la gestion du bien public et de lutter efficacement contre la corruption a été rejeté. En conclusion la Conférence nationale en consacrant l’impunité des crimes politiques, en absolvant les tortionnaires et en ne rendant pas justice aux victimes a laissé intactes les racines de l’autocratie. L’autocrate KEREKOU, après son échec à l’élection présidentielle de 1991 à laquelle il a pris part et craignant le danger d’être appelé à la barre pour justifier sa gestion de 17 ans, a négocié et obtenu du Haut Conseil de la République une loi d’immunité personnelle qui le met hors de toute poursuite, enquête ou procédure judiciaire pour quelque crime que ce soit. Par ailleurs, l’adoption du libéralisme économique dans un pays pauvre dominé par l’impérialisme français renforçait le pacte colonial et endiguait tout développement économique réel.
La Constitution élaborée et votée par ruse (trois réponses au lieu de deux au référendum, oui, oui mais, non) a parachevé l’apatridie. La langue française est proclamée seule langue officielle, c’est-à-dire la seule langue dans laquelle sont édités les lois ainsi que les actes des gouvernants, et ceci dans un pays où plus de 60% de la population est analphabète. Le fameux article 66 qui stipule que « En cas de coup d’Etat, de putsch, d’agression par des mercenaires ou de coup de force quelconque, tout membre d’un organe constitutionnel a le droit et le devoir de faire appel à tous les moyens pour rétablir la légitimité constitutionnelle, y compris le recours aux accords de coopération militaires ou de défense existants.», autorise tout dictateur renversé à en appeler à des puissances étrangères contre le peuple. Le pacte colonial, avec l’hégémonie de la langue française, les accords militaires secrets est ainsi constitutionnalisé.
Par contre, la Constitution, si elle a reconnu les libertés individuelles et collectives conquises, n’a prévu aucune garantie contre les violateurs de ces libertés. Au plus ou au mieux, la Cour constitutionnelle, saisie, peut dire que tel responsable a méconnu la Constitution sans aucune sanction sur sa carrière ou son statut politique, sans aucune indemnisation de la victime. Or, un droit sans la répression de ceux qui le violent n’est pas garanti. Il peut être détruit à tout instant.
Plus généralement, dans le domaine de la gestion du bien public, en ne garantissant aucun contrôle de l’élu par l’électeur, du dirigeant par le citoyen, la Constitution donne libre cours à la corruption et au pillage des ressources publiques.
Au total, le régime du Renouveau dit démocratique, dès son avènement, a conservé contre le peuple, toutes les racines de l’autocratie. Les pouvoirs qui se sont succédé pour la mise en œuvre ont apporté des engrais pour sa repousse.

III- Les pouvoirs du Renouveau depuis 1990 ont désarmé l’esprit de lutte et de sacrifice de la jeunesse et du peuple.

Après la Conférence nationale, les hauts bourgeois et leurs pouvoirs successifs, hantés par les luttes de 1989, planifieront dans la pratique et la propagande systématiques, la mise en œuvre des actes les plus arbitraires les uns que les autres contre le peuple pour empêcher toute remise en cause future du système. Or, en tant que régisseurs des intérêts des puissances étrangères au Bénin, ils se savent incapables de mener une politique patriotique et de probité pour le développement du pays et la satisfaction des aspirations des jeunes générations. Alors, le plan a plutôt visé la destruction de l’esprit de révolte, de lutte, de sacrifice et de patriotisme particulièrement au sein de la jeunesse. Il ne faut offrir à la jeunesse aucun modèle comme référence en matière de don de soi, d’esprit de sacrifice pour les libertés et la patrie. Aucun combattant des libertés ne sera décoré. Il faut chanter que les libertés ont été obtenues à la Conférence nationale grâce à la magnanimité et la sagesse de Mathieu KEREKOU, de Mgr de Souza. Il faut effacer l’histoire et dire et répéter que le passage de l’autocratie à un régime démocratique s’est effectué de façon pacifique, sans effusion de sang. Car, pour les hauts bourgeois, le sang des Luc Togbadja, de Rémy Akpokpo-Glèlè, de Parfait ATCHAKA, de Moussa Mama Yari, etc. des torturés du camp Sero-kpéra de Parakou, des détenus de Ségbana, ne compte pas. Mais surtout, il faut inculquer qu’on n’a pas besoin de lutte, puisque le départ du pouvoir d’un dictateur peut se faire pacifiquement. On chante alors partout le Te Deum à la paix, pour que les pauvres souffrent et meurent dans la paix et pour que les hauts bourgeois corrompus continuent de piller et de ruiner le pays en paix.
L’avilissement de la jeunesse après les mensonges sur la conquête des libertés se poursuit avec son musèlement dès les collèges et lycées. L’arrêté Lamouret-Hountondji interdit toute liberté à la jeunesse scolaire. Toute réunion doit obtenir l’autorisation des autorités et se dérouler en leur présence. Dans les universités, les organisations estudiantines indépendantes du pouvoir sont harcelées ; leurs luttes, violemment réprimées, certains de leurs responsables, exclus pour des années.
Alors, tous ceux qui, comme les communistes combattent ces mensonges et ces crimes contre la jeunesse sont traités de violents ; ceux qui disent à la jeunesse que sans combat, le pouvoir des hauts bourgeois, alliés et complices des impérialistes ne lâche rien, ceux-là sont pourchassés, violemment réprimés. Et comme il est impossible d’empêcher absolument la jeunesse affamée de se révolter, alors, le discours et la pratique des hauts bourgeois envers les jeunes combattants consistent en la corruption, à leur dire que suivre la voie des communistes, c’est choisir d’être pauvre. Le militantisme a été transformé par les partis du Renouveau en des prestations de service où le jeune membre du parti est rémunéré pour sa participation à une réunion, à un meeting, à une manifestation. Le Parti communiste qui se refuse à de telles pratiques d’aliénation de la jeunesse et les combat est traité de tous les noms. Ainsi, la seule perspective qu’offrait le Renouveau démocratique, c’est la participation au système de corruption ou la répression. Et c’est ainsi que s’est écrite l’histoire des pouvoirs du Renouveau démocratique pendant ces trente ans.
La nature de ce régime, au-delà de scandales politico-économiques qui ont jalonné tous les pouvoirs surtout après celui de Nicephore Soglo, s’étale lors des élections, censées offrir l’alternative. Toutes les élections à partir de1995 ont été des opérations où dominent la corruption, l’achat de conscience, la fraude organisée. Toutes les élections étaient des marchés à coup d’argent où le plus offrant rafle la mise. L’impérialisme a pu ainsi facilement, avec l’aide de tous ses pions au Bénin et en Afrique, faire revenir au pouvoir en 1996 le Chef tortionnaire, Mathieu KEREKOU. Les élections pour son second mandat en 2001 étaleront la corruption de tous les organes chargés du scrutin, de la CENA à la Cour Constitutionnelle avec des résultats où le nombre de votants dépasse le nombre des inscrits, où les scores varient selon l’attitude du candidat vis-à-vis de KEREKOU. Le scandale était si gros que Nicéphore SOGLO et Adrien HOUNGBEDJI, proclamés second et troisième après KEREKOU ont désisté pour le second tour. Adrien HOUNGBEDJI traitera la Cour Constitutionnelle, de Cour des miracles. La crédibilité et le prestige entourant la Cour Constitutionnelle, clé de voûte du système politique et institutionnel mis en place par la Conférence nationale, sont tombés. La Conférence nationale était politiquement morte en 2001.
Par la suite, les Cours constitutionnelles ultérieures continueront dans le déni de la justice, avec les proclamations répétées de résultats électoraux frauduleux, de décisions grossières comme celle proclamant dans un régime de démocratie, le consensus comme valeur à caractère constitutionnel, ou celle de 39 ans plus un jour équivaut à 40 ans révolus.
La faillite du système mis en place par la Conférence nationale depuis le retour au pouvoir du dictateur KEREKOU, est si flagrante que son successeur en 2006, Boni YAYI, a dû emboucher comme slogan, le Changement, et après l’échec de ce dernier, la Refondation avec les Iréné KOUPAKI et consorts. Comme tout organe mort qui n’est pas rapidement dégagé, le Renouveau démocratique pourrissait sur pied et exhalait à chaque instant, des odeurs les plus nauséeuses avec des scandales financiers les uns à la suite des autres ainsi que des crimes crapuleux de sang (Juge Coovi, Dangnivo, etc.). Les élections législatives de 2015 montreront en direct devant le peuple et le monde entier, lors de la formation du bureau de l’Assemblée, le spectacle du marché aux enchères des députés. Ces dits honorables étaient mus par des télécommandes transmettant de gros paquets de sous. Les élus lors des élections communales et municipales également achetés, étaient regroupés comme du bétail, emportés et parqués hors de l’offre des télécommandes concurrentes jusqu’au jour du vote du maire. Le pays avait atteint le fond de la déliquescence morale. Ce qui a été monté par l’impérialisme français et ses pions hauts bourgeois pour contrer la prééminence des idées sur l’argent dans la politique, ce qui a été monté pour dévoyer la jeunesse combattante des objectifs patriotiques et de progrès a conduit naturellement le pays dans l’impasse.
La politique a sa logique : soit un sursaut patriotique pour sauver le pays, soit un effondrement dans la continuité, avaient conclu le Parti communiste après ces élections, en août 2015. Il a appelé à ce sursaut et mis en place le Front anti-Waxala. L’élection présidentielle de 2016 n’offrait que la solution de la continuité donc de l’effondrement. L’impérialisme français ainsi que ces agents compradores qui étaient les télécommandes de tous ces hauts bourgeois qui apparaissent finalement comme des marionnettes agitées pour distraire le peuple, ont décidé de prendre eux-mêmes directement les choses en mains. Soit la recolonisation avec l’élection de Lionel ZINSOU, défenseur acharné du pacte colonial, du franc cfa, des interventions militaires françaises, co-auteur du Rapport Védrine pour la reconquête des parts de marché perdues par la France face à la Chine et les pays émergents, et donc la négation ouverte des luttes pour notre indépendance ; soit la poursuite de la lutte dans le respect de cet acquis formel de 1960 avec le regroupement de tous les patriotes pour la victoire du sursaut patriotique.
C’est dans ces conditions que Patrice Talon est élu, toujours avec les fraudes inhérentes aux élections sous le Renouveau failli. En moins de six mois après sa prise du pouvoir, il engagera la dispersion du système du Renouveau déjà en faillite pour la restauration de l’autocratie afin d’agrandir son empire économique et financier. Pour y parvenir, il regroupera autour de lui les éléments les plus vils, les auteurs connus des plus gros scandales des pouvoirs passés du Renouveau. Le Parti communiste, conséquent avec ces conclusions de 2015, dénoncera, dès décembre 2016, le pouvoir de Talon comme un pouvoir de dictature autocratique et appellera à un Front pour le Sursaut patriotique. A la suite, le peuple se lèvera pour sauver encore ce qui pouvait l’être. Mais, désarmé par trente années de pratiques corruptrices, de destruction au sein des jeunes générations des valeurs indispensables de don de soi, d’esprit de sacrifice, il n’a pu vaincre. TALON a gagné pour le moment.

En guise de conclusion
Trente ans après la Conférence nationale, la dictature autocratique a été restaurée au Bénin. Pas seulement au Bénin, mais partout en Afrique, les Conférences nationales sont mortes.
En effet, immédiatement après la Conférence Nationale au Bénin, l’impérialisme et les grands médias français ont entrepris un grand battage autour de l’événement. Il y avait une vaste aspiration des peuples africains à la démocratie. Beaucoup de peuples frères d’Afrique avaient commencé à bouger pour faire comme le peuple béninois. Malheureusement, ce qu’on leur a vendu, c’est qu’un jour, le dictateur KEREKOU a eu une révélation, a réuni une Conférence Nationale et a donné la démocratie à son peuple. Et des délégations conduites par certains responsables de la Conférence Nationale ont osé aller raconter de telles sornettes à nos frères africains. Jamais on n’a vu un dictateur offrir les libertés à son peuple si ce n’est contraint et forcé. Au Bénin cela a pris plusieurs années de luttes, de sacrifice. Beaucoup y ont perdu la vie, certains ont vu la leur détruite. C’est ce qu’il fallait dire à nos frères africains. Au lieu de cela, on les a jetés en pâture à leurs dictateurs qui, sur directive de l’impérialisme français avec le discours de François MITTERAND à la Beaule en juin 1990, ont organisé des conférences Nationales pour les prendre de court, ou ont carrément organisé des conférences Nationales pour les écraser par la suite. Comme on le voit, si la Conférence Nationale a été nuisible pour le peuple béninois, pour les autres peuples africains, c’est pire ; ils ont replongé depuis longtemps sous des dictatures autocratiques.
Du reste, les drames des peuples africains sous le joug du pacte colonial indiquent que le démocratisme, sans le patriotisme, maintient dans l’enclos français, dans le pacte colonial. Le démocratisme sans le patriotisme ne peut permettre et n’a pas permis aux peuples africains de se développer et de satisfaire les immenses besoins légitimes de la jeunesse. Alors les défenseurs du démocratisme sans le patriotisme, sans le soutien aux jeunesses africaines dans leurs combats contre le franc cfa, contre les bases militaires, contre l’hégémonie de la langue française dans l’instruction et l’administration, sont des agents ou des proies faciles aux mains des puissances étrangères.
Trente ans après la Conférence Nationale, notre peuple est confronté à une nouvelle autocratie. Faut-il s’en étonner ? Non. Issu de la Conférence Nationale, le régime du Renouveau Démocratique devait finir de deux manières. Ou bien c’est le peuple qui le balaie pour instaurer son propre pouvoir, ou c’est une nouvelle autocratie qui intervient. C’est ce que nous sommes entrain de vivre avec Patrice Talon. En célébrant les trente ans de la Conférence Nationale sous une nouvelle autocratie, doit-on continuer de dire que c’est KEREKOU qui a apporté la démocratie, c’est monseigneur de Souza l’apôtre de la démocratie ou alors expliquer au peuple qu’il a été floué et dupé, qu’il faut qu’il s’organise, qu’il se prépare à faire beaucoup de sacrifice pour arriver à bout du pouvoir autocratique de Patrice Talon ? Se refuser à reconnaître aujourd’hui que la Conférence nationale a été un marché de dupes ; continuer de saluer à cette occasion la sagesse de l’autocrate KEREKOU, n’est-ce pas continuer la duperie et le désarmement du peuple ? N’est-ce pas demander au peuple aujourd’hui de rester tranquille et docile jusqu’à ce que TALON ait un jour la révélation sur le conseil d’un guide de rétablir la démocratie dans le pays ? Assurément, oui.
Aujourd’hui comme en 1989, notre peuple est encore confronté à un pouvoir autocratique avec en supplément une véritable mafia qui a pris le pays en otage sur le plan économique et politique. Les travailleurs salariés, les artisans, les paysans, les jeunes de toutes conditions, les entrepreneurs nationaux voient leurs conditions d’existence se dégrader et leurs misères s’approfondir. Comme sous KEREKOU et son PRPB, les libertés d’association, de grève, de presse sont interdites. Comme sous KEREKOU, Talon a une Assemblée monocolore qui vote les yeux fermés tout ce qu’il veut. Il règne avec un parti unique à multiples fourches. Le pays étouffe. On ne peut venir à bout d’un tel pouvoir que par les luttes et de grands sacrifices. Continuer à niaiser en racontant des choses à dormir debout sur la chute du pouvoir autocratique de KEREKOU ne rend pas service au peuple. Voilà pourquoi, au Parti Communiste du Bénin, nous disons : Peuple du Bénin, il y a trente ans tu es arrivé à bout du pouvoir autocratique de KEREKOU par tes sacrifices, ton abnégation ; aujourd’hui, tu es confronté à un autre pouvoir autocratique ; organise-toi, bats-toi comme tu sais le faire pour mettre fin au pouvoir autocratique de Patrice Talon.
Cotonou, le 23 février 2020.
Le Parti Communiste du Bénin
Cliquer ici pour télécharger la déclaration