Décret interdisant la transhumance pastorale nationale
La lutte des paysans paie
Le gouvernement de Talon, après avoir fait la sourde oreille sur plusieurs années, face au cri de protestations des populations victimes des conflits récurrents entre agriculteurs et éleveurs entrainant souvent des morts d’hommes a fini par prendre en conseil des Ministres, le mercredi 07 juin 2023 un décret « portant modalité d’exercice de la veille pastorale. »
Que dit en résumé le contenu du décret : « La transhumance nationale est interdite. Les mesures prises par les autorités publiques concourent à la sédentarisation des ruminants. Le déplacement en troupeaux de ruminants entre communes ne peut s’effectuer que de façon exceptionnelle et organisée par décision concertée des maires des communes concernées, après approbation du préfet ou des préfets territorialement compétents (art-2) … L'éleveur-pasteur ou nomade détenant du bétail est tenu de mettre le bétail en batterie dans un enclos de façon permanente en tout lieu où il se trouve. L'obligation de détenir le bétail dans un enclos ou en batterie est applicable quelle que soit la taille du cheptel et la nature des bêtes détenues. L'éleveur-pasteur ou nomade met en œuvre toute disposition matérielle pour éviter la circulation ou la divagation du bétail en dehors des enclos et lieux destinés à son activité (art-11) … Tout éleveur-pasteur ou nomade tient un carnet de déplacement délivré par le préfet et dont le contenu et les conditions de délivrance sont fixés par arrêté conjoint des ministres chargés de la Décentralisation et de l'Agriculture. Le carnet de déplacement est systématiquement requis pour tout déplacement de l'éleveur pasteur ou nomade accompagné de son cheptel, quelle que soit la période. Le déplacement des éleveurs-pasteurs ou nomades avec leur cheptel, hors le cas visé à l'article-2 du présent décret, est soumis à autorisation spéciale consignée dans le carnet de déplacement et délivrée par le chef d'arrondissement territorialement compétent (art-12). L'éleveur-pasteur ou nomade prend toutes dispositions nécessaires pour maintenir la quiétude des agriculteurs en s'interdisant de pénétrer dans leur espace de culture et de prendre leurs récoltes pour alimentation du cheptel. La violation des espaces de cultures par l'éleveur-pasteur ou nomade est sanctionnée par une amende de cent mille (150. 000) francs CFA si elle est due à une divagation non maîtrisée de partie des animaux ou du cheptel en déplacement. L'amende est de trois cent mille (300 000) francs CFA lorsque la pénétration dans les espaces de culture est volontaire (art-13). L'amende est payée sans délai au trésor public par l'éleveur-pasteur ou nomade sur présentation du procès-verbal de verbalisation établit par l'agent public compétent ou les agents et officiers de police (art-14) ».
L’essentiel à retenir par et pour les paysans agriculteurs, c’est que : « L'éleveur-pasteur ou nomade détenant du bétail est tenu de mettre le bétail en batterie dans un enclos de façon permanente en tout lieu où il se trouve…L'éleveur-pasteur ou nomade prend toutes dispositions nécessaires pour maintenir la quiétude des agriculteurs en s'interdisant de pénétrer dans leur espace de culture et de prendre leurs récoltes pour alimentation du cheptel ». Ainsi l’éleveur pasteur ou nomade est fixé sur son déplacement avec ses bêtes ; en tout lieu où il se trouve avec son bétail, ce dernier doit être dans un enclos. Ces dispositions du décret donnent le droit, sans équivoque aux agriculteurs contre les propriétaires de bœufs et leurs employés bouviers qui viennent ravager leurs récoltes, semer la désolation, la famine dans leurs familles à toutes les saisons du fait de la destruction de leur champ.
Toutes ces mesures prises pour le recadrage de l’exercice des activités pastorales pour la protection des agriculteurs constituent une avancée. Elles sont le résultat de la résistance, de la lutte de la population en général et en particulier les agriculteurs ces dernières années contre les dégâts qu’occasionnent sur toute l’étendue du territoire national la divagation des bêtes dans les champs des agriculteurs.
En effet, qu’on se souvienne des multiples soulèvements des paysans contre les bouviers transhumants avec les bœufs dévastateurs des champs :
- Les soulèvements du mercredi 30 septembre au samedi 02 octobre 2020 des populations d’Atchannou dans la Commune d’Athiémé contre les bouviers qui font dévaster leurs cultures et greniers par leurs bœufs. Contre la police et les autorités locales, la fermeté des populations a été claire : « Nous ne voulons plus un seul bœuf dans nos champs, maintenant, c’est la vie ou la mort, la lutte se poursuivra aussi longtemps que vous laisserez les bœufs dévaster nos champs » (Cf. La Flamme 370).
- De même, le mercredi 22 septembre 2021, un mouvement inédit et irrésistible de la population de Houin dans la commune de Lokossa, sous la direction de l’Union Paysanne GAMESU-MISITE s’est lancé à l’assaut des bœufs et bouviers du richissime communément appelé H4 et contre les autorités locales (CA et maire) complices (Cf. La Flamme 425).
- La révolte populaire du 03 juin 2022 dans l’Arrondissement de Tchaourou contre le camp des bouviers. (Cf. La Flamme 457).
- Les affrontements du 20 mars 2023 à Soclogbo dans la Commune de Dassa-Zoume. (Cf. La Flamme 494).
Au total ces dernières années, plusieurs régions de notre pays ont vécu des situations conflictuelles entre agriculteurs et bouviers. Dans ce conflit, les agriculteurs sont souvent réprimés parce que les propriétaires des bœufs sont des autorités au niveau de la hiérarchie étatique. Le décret n°2023-303 du 7 juin 2023 qui interdit la transhumance nationale et prescrit des mesures claires consacre une victoire des luttes des paysans.
Afin que la quiétude règne dans nos villages, et pour prévenir les affrontements entre éleveurs et agriculteurs, ce décret doit être traduit, largement diffusé par tous moyens de communication et relayé dans toutes les langues nationales sur toutes les radios nationales et communautaires dans le pays.
Si ce décret constitue une avancée, il laisse néanmoins un grand vide ; il reste muet sur l’indemnisation du paysan dont le champ et les cultures seraient saccagés par des éleveurs contrevenants. Aucune disposition dudit décret ne prend en charge le paysan victime. Il est seulement indiqué des amendes à payer à l’Etat. C’est ce qui ressort de l’art-14 dudit décret : « L'amende est payée sans délai au trésor public par l'éleveur-pasteur ou nomade sur présentation du procès-verbal de verbalisation établit par l'agent public compétent ou les agents et officiers de police ».
Que coûte à un éleveur dont les bêtes auront détruit en une nuit des hectares de culture d’un paysan s’il peut vendre une seule de ses bêtes à un million pour venir payer une amende de 150 mille FCFA ou 300 mille FCFA ? Après que l’éleveur aura payé les amendes au trésor public que devient le paysan reconnu victime ? Il lui faut obtenir une preuve de la violation de son champ par l’agent public compétent ou l’officier de police puis suivront les auditions devant les tribunaux comme c’est l’habitude au Bénin. On sait que ce sont des ministres, des députés, des préfets, des maires, des chefs d’Arrondissements, etc. qui sont propriétaires de bœufs. Or, c’est aux préfets, maires et chefs d’Arrondissement qu’il revient par décision concertée, l’organisation du déplacement des bovins d’un département à un autre ou d’une commune à une autre. C’est là une grande marge qui leur est encore réservée pour le maintien et la poursuite du calvaire et de la souffrance des agriculteurs. C’est pourquoi il est inadmissible qu’aucune disposition du décret ne garantisse le dédommagement des victimes.
En raison de cette situation, seules la détermination et l’organisation des agriculteurs pourront leur permettre d’arracher une prise en compte de leurs intérêts piétinés.
Afi Tossou
Téléchargez la flamme N°510 ici :
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