ADRESSE AUX CENTRALES ET CONFEDERATIONS SYNDICALES DU BENIN FACE AU PLAN D’EXCLUSION DU CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL


Mesdames et Messieurs les Secrétaires Généraux des Centrales et Confédérations Syndicales du Bénin


J’ai lu avec beaucoup de peine et aussi beaucoup de compassion, votre Déclaration en date du 19 Juin 2024 dernier.
Dans ladite Déclaration, vous souligniez ceci « Il est revenu aux Centrales et Confédérations Syndicales du Bénin que le Gouvernement a saisi l’Assemblée nationale d’un projet de loi organique sur le Conseil Economique et Social… Or de sources concordantes et bien introduites ledit projet de loi ainsi que le texte proposé à l’adoption par la Commission des Lois excluent aussi bien les Organisations syndicales des travailleurs que les animateurs des espaces sociocommunautaires … dont l’expertise est indispensable à la qualité des avis et conseils de ce précieux instrument d’aide à la décision ».


En effet le texte du projet de loi soumis aux Députés exclut effectivement les représentants des travailleurs au nombre de 4 retenus dans la loi Organique en vigueur, loi N° 92-010 du 17 Juillet 1992 portant loi organique sur le Conseil Economique et Social en son article 5. La nouvelle disposition proposée en son article 6 ne prévoit aucune place aux représentants des Travailleurs. A leur place , on désigne les Associations départementales de Développement (au nombre de 12), les personnalités désignées par le Président de la République et l’Assemblée nationale et quelques présidents de quelques corporations, etc… Sont ainsi aussi exclus les 2 représentants des Chercheurs et universitaires, les fédérations sportives, les syndicats des employeurs (seulement remplacés par le Président du Patronat).
Autrement dit, exit les représentants de producteurs, exit les représentants d’intellectuels, chercheurs et universitaires pouvant expertiser sur la marche économique du pays, exit les sportifs…
Or quel est le rôle de l’Institution « Conseil Economique et Social » ?


Mesdames et Messieurs les Secrétaires Généraux des Centrales et Confédérations Syndicales du Bénin,
Le Conseil Economique et Social a été institué sous pression des luttes des Travailleurs en France.
C’est une Institution de tradition surtout française qui associe la représentation des travailleurs, des experts des domaines particuliers (par des avis et conseils) à la prise des décisions programmatiques et sociales. Cette Institution de « dialogue social » entre Décideurs Gouvernementaux et Producteurs divers ( malgré son rôle consultatif) a eu à son actif au cours de l’histoire, des acquis importants dont la mise en œuvre des grandes questions à caractère économique et social. Cette institution a été prise en compte dans maints pays.
Le Conseil Economique et Social dans sa structure actuelle au Bénin, est un minimum concédé aux travailleurs pour le maintien du « Dialogue social » à l’instar des autres pays de cette tradition et ceci à la suite des conquêtes sociales des années 1989 et consacrés par la Constitution de 1990. Car, la Démocratie ne peut se concevoir sans la présence au Parlement de représentants des travailleurs.


En fait, dans un système réellement démocratique, les producteurs, en particulier les travailleurs doivent être représentés dans l’Institution de prise de loi, donc à l’Assemblée nationale. Il n’est pas normal par exemple que l’Assemblée vote des lois concernant les travailleurs sans la présence de leurs représentants. Ce qui se passe chez nous au Bénin est dramatique. L’Assemblée nationale béninoise est composée en majorité d’employeurs, propriétaires d’entreprises diverses, appelés « hommes d’affaires », des douaniers recyclés et/ou des fonctionnaires ayant siphonné des fonds publics pour s’acheter le suffrage des électeurs. Et ceux-là désormais sont coiffés depuis 2016 par le Chef des Hommes d’affaires du Bénin ; conséquences : une avalanche de lois anti-sociales et esclavagistes pour le musèlement des travailleurs et la maximisation du profit capitaliste. Ce qui permet au Président Talon d’aller proclamer fièrement sa victoire définitive sur les Travailleurs devant le Parterre des Employeurs et Chefs d’Etat européens et africains à Berlin en 2019 et devant le MEDEF à Paris en 2022.


En fait, de la démocratie, le Président Talon n’en a jamais voulu et a détricoté minutieusement depuis lors, tous ces acquis démocratiques et sociaux. Comme vous le soulignez si clairement dans votre Déclaration, le train de mesures prises à savoir « la dissolution du Conseil National de Dialogue social, l’exclusion des représentants des Conseils d’administration des organismes publics et parapublics, la fusion et/ou la suppression de plusieurs organes de dialogue social » expriment cette position. L’exclusion en cours avec le projet de loi organique n’en est qu’un couronnement.


Mesdames et Messieurs les Secrétaires Généraux des Confédérations Syndicales du Bénin, mes chers compatriotes,
Le Président Patrice Talon n’entend rien et ne veut rien du dialogue social. Sa logique depuis 2016 est l’affrontement.
Il faut alors en tirer les conclusions et faire face.


C’est pour cela que j’apprécie positivement votre Prise de position commune face à l’adversité. Car c’est dans l’unité que les travailleurs peuvent triompher des ennemis de classe.


En avant et tous ensemble pour la suppression de toutes les lois anti-travailleurs ; en avant et tous ensemble pour le rétablissement de tous les acquis sociaux et démocratiques confisqués depuis 2016 sous le pouvoir de la Rupture.
La victoire est aux Travailleurs et elle est certaine.


Cotonou, le 21 Juin 2024

Philippe NOUDJENOUME
Professeur de Droit Constitutionnel à la Retraite
Président de l’Alliance Pour la Patrie/Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin.