ADRESSE AUX HONORABLES DEPUTES
DE LA VIème LEGISLATURE
Honorables Députés,
Mesdames et Messieurs,
Depuis quelque temps, une avalanche de projets ou propositions de lois sont déposés devant vous à l’Assemblée nationale pour être votés. La caractéristique commune de ces projets et propositions de loi c’est la restriction sinon la liquidation des libertés fondamentales, acquis des combats populaires de l’année 1989 et consacrés par la Conférence nationale. Vous me permettez de les rappeler : il s’agit du projet de loi portant exercice du droit de grève en République du Bénin, de la proposition de loi organique portant conditions de recours au référendum, et celle portant règles générales applicables aux militaires, paramilitaires et corps assimilés.
Il s’établit comme une conjonction des actions les unes provenant du gouvernement les autres provenant de la majorité présidentielle au parlement. Toutes n’ayant qu’un seul objectif : museler le peuple et le retourner à la période du despotisme obscur de Kérékou-PRPB. Avec un zèle particulier, cette majorité écrasante présidentielle (constituée de « yayistes » de première heure et des traitres de la Renaissance du Bénin) en votre nom vient d’adopter - le lundi 26 septembre - la proposition de loi portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publiques et assimilés ; ce qui signifie en réalité interdiction de la grève aux personnels de la douane ! Puis que les autres corps de militaires, de paramilitaires n’en jouissaient pas ou n’en usaient pas beaucoup tels les agents des eaux et forêts. Ainsi malgré tous les remous et protestations populaires que ces divers projets et propositions de loi soulèvent la majorité mécanique fascisante au parlement fonce tête baissée. Ce sera probablement le même sort que cette majorité réservera au projet de loi portant exercice du droit de grève en République du Bénin et à la proposition de loi référendaire, tous aussi liberticides l’un que l’autre.
Parlons de cette fameuse loi qui vient d’être votée par le parlement. Si l’on considère tout le lynchage médiatique dont les douaniers ont été l’objet, jetés qu’ils sont en pâture à la vindicte populaire par le Premier Magistrat du pays, l’on comprend aisément l’objectif de cette loi : régler un compte à ces douaniers responsables selon le pouvoir de tous les malheurs du pays. Comme si ce sont les douaniers qui sont comptables de tous les scandales politico-financiers qui émaillent la vie politique du Bénin depuis quelques années. L’article 1er de la loi dispose : « La présente loi a pour objet de définir les règles particulières applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés…Les personnels des forces de sécurité publique et assimilés sont ceux de la Police Nationale, de la Douane et des Eaux et Forêts et Chasse ». Et l’article 9 de la loi de conclure l’objectif de cette loi en ces termes : « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance. Ils ne peuvent exercer le droit de grève». Il est arbitraire et fasciste d’assimiler les agents de douane aux personnels « de la sécurité publique » comme d’ailleurs ceux des agents des eaux et forêts. La mission essentielle des agents de la douane, ce n’est pas d’assurer l’ordre public ou la sécurité publique comme les personnels de la police nationale. Encore que dans certains pays et sous certaines conditions, la police a le droit de grève. La mission essentielle de la douane est économique et financière et si les agents des douanes sont armés, c’est pour leur permettre de se défendre contre les attaques de contrebandiers malfaisants. L’histoire de notre pays a prouvé que cette assimilation a été le fait du despotisme. Ainsi, de 1960 à 1972, les douaniers avec leur syndicat –le SYNAD- jouissaient du droit de grève. Avec l’avènement du régime despotique de Kérékou-PRPB, les douaniers ont été assimilés aux forces de sécurité dans les fameuses FSP (Forces de Sécurité Publique comprenant Gendarmerie, police nationale, douane, eaux et forêts) et intégrés au Ministère de la Défense. La Conférence Nationale a dénoncé cette situation et rétabli le corps de la douane dans sa fonction de régie économique et financière, intégrée au Ministère des Finances. En décidant de retourner la douane dans les rangs de forces de sécurité publique, YAYI Boni et son groupe parlementaire ne font que remettre les pas dans ceux de Kérékou de la période du PRPB. La raison de cette assimilation avancée par des députés de la mouvance selon laquelle «le budget de notre pays est essentiellement fiscal », en plus du fait que cette argumentation est incantatoire et que tout budget normal est « fiscal », signifie que bientôt la même interdiction de grève s’étendra aux agents des impôts et pourquoi pas du Trésor tous « régies financières ».
Passons maintenant au Projet de loi portant exercice du droit de grève en République du Bénin.
Ce projet de loi sur la grève est un amas de dispositions arbitraires (et même anticonstitutionnelles). Je veux simplement évoquer certaines telles celles des articles 3« Les grèves qui n’ont pas un caractère professionnel sont illicites et interdites notamment les grèves politiques» ou « le droit de grève est limité dans les services essentiels » et comme services essentiels « ceux relevant de la santé, de la sécurité, de l’énergie, de l’eau, des transports aériens, des télécommunications» (Art 15) ; tout comme la réquisition « d’office » de tous les agents de l’Etat ou des entreprises publiques, semi-publiques ou privées « stratégiques . … ceux dont l’activité est indispensable à l’intérêt général et au développement économique de la nation notamment les services financiers où la « cessation même partielle de travail, porterait de graves préjudices à l’économie nationale » (Art 19). L’appréciation du caractère « essentiel », « stratégique » du service, de l’entreprise publique, semi-publique ou privée étant laissé à la libre discrétion du pouvoir ou du patron signifie que la grève est d’interdiction générale aux travailleurs tant du secteur public que privé. Si vous ajoutez à ces dispositions celles de l’article 8 fixant les conditions du déclenchement de la grève (« négociations collectives obligatoires », « décision de la majorité des travailleurs…objet d’un procès-verbal signé de tous les participants », « préavis de 20 jours ouvrables ») ou enfin celle de l’article 9 réservant aux seules « organisations de travailleurs régulièrement constituées » le droit de déclencher une grève, vous verrez que cette loi ne mérite d’autre appellation qu’une loi anti- grève. Puis-je me permettre de vous rappeler que le droit de grève appartient au travailleur et non à une organisation syndicale et que ces dispositions du projet de loi sont une violation flagrante de l’article 31 de notre Constitution (encore en vigueur) et qui dispose « L’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts, soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi » ?
Quant à la proposition de loi référendaire, elle va de la même veine fasciste. Les articles 14 et 15 en sont l’illustration. L’article 14 de la dite proposition de loi dispose : « Tout parti politique ou alliance de partis politiques qui désire participer à la campagne référendaire adresse à la CENA, une demande de participation dans les 10 jours qui suivent le décret de convocation du corps électoral… ». L’article 15 poursuit : « La CENA peut déclarer irrecevable une demande de participation à la campagne en vue du référendum… ». Une telle disposition d’une part, arrache au citoyen à titre individuel ou organisé avec d’autres en diverses associations diverses telles les ONG, le droit de participer à la campagne référendaire censée porter sur des questions existentielles de l’Etat ; d’autre part elle soumet à autorisation préalable une liberté inscrite à l’article 5 de la Constitution qui dispose : « Les Partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent librement leurs activités dans les conditions déterminées par la Charte des Partis politiques… ». Alors que, quoi que loi référendaire, elle demeure une loi et ne saurait être en contradiction avec les dispositions formelles de la Constitution existante. Et si des partis politiques ne sont pas contents de leur exclusion de la campagne référendaire, la loi les renvoie devant qui ? Devant la Cour Constitutionnelle, c’est-à-dire devant DOSSOU Robert, le frère Siamois du Président YAYI Boni. Autrement dit le choix des partis devant participer à une campagne référendaire revient en définitive au Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du gouvernement, YAYI Boni lui-même. Le serpent se mord la queue !
De la sorte, la « Refondation » prônée par le Président YAYI Boni notamment lors de sa prestation de serment le 06 Avril 2011 revêt maintenant un contenu, celui rappelant une période noire de notre histoire, celle de l’autocratie de Kérékou-PRPB : instaurer un silence de cimetière propice à tous les crimes économiques et politiques, empêcher les citoyens et les travailleurs de se prononcer sur les graves atteintes aux libertés si chèrement conquises, les graves destructions du patrimoine national mettant en danger la vie de milliers de citoyens et même de millions de personnes.
Mesdames et messieurs,
Honorables Députés de la sixième Législature,
Il n’est pas dans mon intention ici de revenir sur les conditions chaotiques dans lesquelles la Majorité parlementaire actuelle, à la solde du Président de la République a été constituée. Vous êtes là aujourd’hui et vous représentez à tort ou à raison ce peuple si cher à nous tous. Et c’est à ce titre que je veux souligner la responsabilité que vous endossez devant l’Histoire et vous rappelle ces principes élémentaires tirés de l’expérience de l’humanité et de la nôtre propre : tous les usurpateurs ont toujours voulu faire oublier qu’ils accèdent au pouvoir pour un temps évidemment limité. Les dictateurs dominants d’aujourd’hui veulent faire oublier qu’ils sont fragiles, relatifs et mortels et que selon l’heureuse expression du juriste français Burdeau « la démocratie est une forme de coexistence à laquelle on ne peut mettre un terme qu’en s’engageant dans une aventure chaotique ». C’est dire que votre aventure, celle de mettre un terme à l’expérience « démocratique en cours dans notre pays depuis 1990 » et instaurer une dictature de type autocratique centrée autour de la personne du Chef de l’Etat, YAYI Boni ne peut se réaliser sans créer un chaos dont personne, même vous-mêmes à titre individuel, n’a intérêt. D’abord le peuple et en particulier vos électeurs en seront les principales victimes. Ensuite, vos proches, car il n’est pas dit que tous les membres de vos familles respectives doivent être de votre bord politique. Enfin vous-mêmes, car si aujourd’hui, pour des intérêts matériels ou de considération sociale, vous croyez avoir la planète en vos mains, il n’est pas dit que demain, une petite contradiction ne peut pas surgir entre vous et le nouveau despote et qu’il fera exercer sur vous aussi la dictature que vous lui aurez permis d’exercer sur d’autres. N’oubliez pas qu’une loi a vocation de traverser le temps.
Mesdames et messieurs,
Honorables Députés de la sixième Législature
Je sais que bon nombre d’entre vous (surtout vous de la majorité mécanique présidentielle) mépriseront ces lignes, ne les liront peut-être même pas. Qu’importe ! Mais sachez que si notre vaillant peuple a pu réaliser le grand mouvement populaire du 11 décembre 1989 ayant abouti au renversement du pouvoir honni de Kérékou-PRPB, il relèvera à terme le défi que vous lui lancez aujourd’hui par l’imposition de lois fascistes. Les travailleurs dans tous les secteurs relèveront le défi. Nos peuples, dans les grands tournants de leur histoire n’ont jamais courbé l’échine. Les ADANDOZAN, GBEHANZIN, Bio GUERA, KABA, KPOYIZOUN, nous ont tracé la voie : celle de l’honneur et du patriotisme. Où sont passés aujourd’hui les individus tels VILON GUEZO, Mama Sanni GOMINA, MALAM IDI, hier grands pontes de l’Assemblée Nationale « Révolutionnaire » (ANR), faiseurs de lois fascistes de triste mémoire ? Dans la poubelle de l’histoire avec le mépris populaire que cela mérite. Sous nos yeux, les Ben ALI, MOUBARAK, CHIRAC sont traînés devant les tribunaux pour répondre de leurs forfaits.
Ce sera inévitablement ainsi chez nous, dans notre pays, sur cette terre nôtre que tous nous chérissons.
Et ce sera Justice.
Recevez chers Députés et Compatriotes, mes salutations distinguées et patriotiques.
Cotonou le 27 Septembre 2011,
Le Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin
Philippe NOUDJENOUME