Lettre ouverte du 1er Secrétaire du PCB aux Représentants de l’Union Européenne, de la France, de la Belgique,
de l’Allemagne et du PNUD
Mesdames et Messieurs,
La situation que traverse le Bénin à l’heure actuelle est préoccupante et interpelle la conscience de toute personne ou toute institution soucieuse de l’évolution et de l’épanouissement des peuples.
Si je m’adresse à vous aujourd’hui c’est parce que, en tant que Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin, parti qui incarne dans une large mesure les aspirations des couches populaires de ce pays, je me sens une responsabilité particulière face à tout ce qui touche au devenir des millions de femmes et d’hommes vivant sur cette portion de terre africaine appelée Bénin. En particulier, je ne peux rester indifférent lorsqu’il s’agit d’actes ou de comportements provenant de représentants des grands pays dont les décisions engagent le sort de l’humanité et qui ont pour missions officielles la promotion du développement des peuples et la sauvegarde de la paix sur la planète.
Mesdames et Messieurs,
La période des élections dans tout pays, qu’il soit grand ou petit, et, surtout pour les pays dominés comme le nôtre, est l’une des périodes les plus délicates, les plus sensibles et les plus chargées de risques de dérapages.
I- Depuis quelques temps, en tout cas, remontant à au moins dix mois (tout au début de l’opération commencée en novembre 2009), les protestations contre la manière dont le gouvernement du Bénin conduit la réalisation de la LEPI ne cessent de croître. Ces protestations proviennent des milieux divers, de députés comme de simples citoyens. Tout le monde se rend compte que les dés sont pipés avant les élections ; que la liste électorale permanente informatisée en cours de réalisation ne répond ni aux normes méthodologiques en la matière ni souvent aux exigences techniques : mauvais fonctionnement des capteurs d’empreintes, inadaptation des empreintes, mauvaise qualité des photos, etc. Face à ce gâchis pour réaliser un hold-up électoral avant le scrutin, le peuple s’insurge partout et les organes de presse ne manquent pas de relayer quotidiennement l’événement. Il apparaît clairement que le Président YAYI Boni et son poulain BAKO Nassirou (Président de la Commission Politique de Supervision/LEPI) veulent passer en tour de force une LEPI faussée en leur faveur. Les populations exigent donc l’arrêt de la réalisation de la LEPI truquée et vous ne pouvez pas nous dire que ces événements vous sont inconnus. D’autant que vous êtes souvent l’objet d’interpellations à ce sujet. Le comble est atteint lorsque le 19 octobre 2010, le jour où des milliers de personnes manifestaient dans les rues de Porto-Novo et de Sèmè contre une LEPI truquée, l’Union Européenne et le PNUD apportent un apport supplémentaire de plus de 2 milliards de CFA pour poursuivre le financement de la réalisation de ladite LEPI. Alors, l’on est en droit de s’interroger sur les motivations réelles qui animent ces actes. Entrent-ils dans le cadre de la mission que vos pays et institutions sont censées réaliser ? Comment comprendre que malgré ces cris du peuple, l’Union Européenne et le PNUD encouragent le gouvernement et BAKO Nassirou à continuer sur cette lancée, à savoir réaliser une LEPI à polémique, une LEPI porteuse de conflits aux conséquences incalculables? Peut-on faire le bonheur de quelqu’un malgré lui ?
II- Par ailleurs, la réalisation de la LEPI même fiable n’est pas une panacée contre la fraude. La fraude revêt diverses modalités. Ici et ailleurs en Afrique, l’achat des voix, la distribution de sous et de cadeaux aux électeurs constituent la principale activité de propagande électorale. N’observe-t-on pas le Chef de l’Etat en personne, utilisant ses attributs, se livrer à des distributions de sous porte-à-porte pour acheter les voix ? Vient ensuite et principalement la course pour le contrôle des institutions organisatrices des élections. La CENA ou la Cour Constitutionnelle peut, même avec une liste informatisée, procéder à des annulations et des tripatouillages qui changent complètement l’issue d’un scrutin.
Il en a été ainsi de toutes les CENA et Cours Constitutionnelles sous le Renouveau, et le monde entier a bien entendu Mr Adrien HOUNGBEDJI qualifier, en 2001, et à juste titre, la Cour Constitutionnelle au Bénin d’une Cour des Miracles.
Mon Parti, le PCB, lorsque et chaque fois qu’il a participé aux élections, en a été la principale victime. Ne sont-ce pas des méthodes frauduleuses ? Tout analyste sérieux de la politique du Bénin qui ne veut pas seulement se contenter de formules plates et paternalistes à la mode sur la démocratie (en fait tropicale), sait que depuis que notre pays le Bénin existe en tant qu’Etat indépendant et particulièrement depuis ces vingt dernières années appelées années de renouveau démocratique, toutes les élections qui s’y sont déroulées ont toujours été frauduleuses.
La question qui se pose dès lors au cours d’un scrutin au Bénin dans son état actuel est celle de savoir lequel des candidats disposerait le plus d’argent à distribuer et surtout contrôlerait le mieux les structures de gestion des élections. Et ce n’est pas le Professeur Albert TEVOEDJRE, Médiateur de la République du Bénin qui me démentirait. Le Professeur Albert TEVOEDJRE a reconnu sans ambages l’omniprésence de la fraude, dans la conférence inaugurale qu’il a prononcée le 4 avril 2009, à l’ouverture du symposium sur Mgr de SOUZA, en présence du ministre Baba Bodi, représentant le Chef de l’Etat : « La fraude est devenue le sport national. Ce qui décide, par exemple, de l’issue d’une élection dans notre pays, ce n’est pas le vote de l’électeur mais le bon vouloir des organisateurs, de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) en l’occurrence. Aussi les groupes politiques se battent-ils et s’entredéchirent-ils pour contrôler la CENA non seulement mais aussi la Cour constitutionnelle ».
YAYI Boni dans ce domaine a une longueur d’avance sur les autres et, avec ou sans LEPI, YAYI Boni gagnera par la fraude et la violence les prochaines élections présidentielles.
Si l’on sait que c’est l’Union Européenne qui, sur demande du Chef de l’Etat, a organisé et financé l’étude de faisabilité de la LEPI et dont le rapport a conclu à l’option LEPI au Bénin (avec à la fois données personnelles et données biométriques) au lieu de Liste Electorale Informatisée LEI (sans données biométriques) plus simple à réaliser, moins coûteuse et dont se sont contentés d’autres pays de la sous-région africaine ; si l’on sait que le rapport a privilégié l’utilisation de kits biométriques alors que ceux-ci ont montré la limite de leur efficacité dans le contexte africain comme au Togo, en RDC ou au Sénégal ; que les procédures de recrutement et d’acquisition des biens et services ont été définies par les Partenaires Techniques et Financiers, notamment le PNUD, n’est-on pas en droit de vous refuser la présomption d’innocence et conclure à des desseins inavoués qui, en tous les cas, ne sont pas dans l’intérêt du bien-être, de la liberté et de la souveraineté des travailleurs et des peuples du Bénin ?
Mesdames et Messieurs,
Toutes ces considérations amènent légitimement à penser qu’en lieu et place de mission de développement et de paix que vous proclamez défendre, vos actions conduisent à un autre résultat : à savoir créer d’autres Rwanda ou si ce n’est pas le cas, des situations comme celles qui ont prévalu en Côte d’Ivoire ou en RDC. Est-ce pour venir alors jouer les « Messieurs Bons Offices », « les Sauveurs », « les Humanitaires » allant au secours de populations victimes de la guerre fratricide que vous aurez en fait provoquée ? Nous n’en sommes pas dupes.
Contre de tels complots, soyez assurés Mesdames et Messieurs, que les travailleurs et les peuples du Bénin luttent et lutteront de toutes leurs forces et se fraieront la voie de l’émancipation, à l’instar d’autres peuples du monde, n’en déplaise à tous les comploteurs.
Recevez, Mesdames et Messieurs les Représentants, l’expression de mes hautes considérations
Cotonou, le 27 octobre 2010
Le Premier Secrétaire
signature illisible
Philippe NOUDJENOUME
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