Depuis la mort, en décembre 1993, de l’autocrate Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire a connu une guerre de succession au sein du parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Elle a opposé principalement Alassane Ouattara, néolibéral, Premier ministre du défunt président, à Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale et longtemps considéré comme son dauphin. Bédié en était sorti vainqueur, en recourant, entre autres, à l’argument de « l’ivoirité » — en évoquant la nationalité présumée douteuse de son rival, mettant en avant son appartenance ethnique Dioula (un groupe ethnique du Nord de la Côte d’Ivoire, classé comme « voltaïque ») et le fait qu’il a bénéficié conjoncturellement d’un passeport de la Haute-Volta (actuelle Burkina Faso). La dite « ivoirité », en tant que chauvinisme ethnico-confessionnel à l’égard des Dioula musulmans, va devenir un discriminant majeur dans la lutte pour le pouvoir.
Henri Konan Bédié est renversé au Noël 1999 par une mutinerie militaire. Les mutins cherchent à se justifier en parlant de l’instrumentalisation de « l’ivoirité » et de la « baoulisation » des sommets de l’État. Ils portent à la tête de l’État le général Robert Guéi l’ancien chef d’état-major de l’armée ivoirienne, gestionnaire du soutien de Houphouët-Boigny à la rébellion libérienne des années 1980-1990, victime de la « baoulisation » menée par Bédié. Ce gouvernement, dit de transition, a parmi ses principales missions l’éradication de « l’ivoirité » et l’organisation d’élections démocratiques. Mais Alassane Ouattara, leader du Rassemblement des démocrates républicains (RDR), ainsi que plusieurs autres candidats potentiels, dont le président renversé H. Bédié, ne peuvent être candidats à l’élection présidentielle de 2000, organisée de manière à permettre la confiscation du pouvoir par Robert Guéi. Et c’est Laurent Gbagbo, ancien syndicaliste enseignant, exilé en France de 1985 à 1988 et fondateur du Front populaire ivoirien, emprisonné par Ouattara lors des manifestations étudiantes en 1992, qui l’emporte avec un faible taux de participation.
En septembre 2002, un putsch armé contre Laurent Gbagbo, alors en visite en Italie, est déjoué. Avorté, ce putsch est transformé en rébellion politico-militaire dans le nord du pays. A son tour, Gbagbo est accusé d’avoir amplifié le phénomène de « l’ivoirité ».
La Côte d’Ivoire est coupée en deux. D’un côté, la partie septentrionale et une partie du centre sous le contrôle de la rébellion politico-militaire (actuelles Forces armées des Forces Nouvelles – FAFN) dirigée par Guillaume Soro, originaire du Nord, ancien dirigeant du mouvement étudiant (Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire, FESCI, alors classé à gauche), qui est passé de la lutte aux côtés de Laurent Gbagbo ou du FPI, contre le régime du PDCI, au ralliement — pendant la phase Gbagbo de « l’ivoirité » — à Alassane Ouattara, néolibéral. Les FAFN ayant fait de Bouaké, troisième ville du pays, la capitale de leur zone. De l’autre côté, la partie méridionale — qui comprend la capitale économique Abidjan et la ville portuaire de San Pedro — et une partie du centre, demeurent sous le contrôle gouvernemental de Gbagbo. Entre les deux s’installe une force d’interposition française, renforcée ensuite par une mission onusienne.
Cinq ans durant on assiste à des accords signés sous l’égide de la « communauté internationale », jamais intégralement respectés, au racket des commerçants et des transporteurs sur les routes, aux manifestations populaires violemment réprimées, meurtrières, y compris par des milices privées politiques, aux affrontements armés entre les armées loyaliste et rebelle, aux bombardements entre l’armée loyaliste et l’armée française (novembre 2004 à Bouaké et à Abidjan). Une paix, considérée comme durable, est finalement signée, en mars 2007, à Ouagadougou, entre le gouvernement de Laurent Gbagbo et les Forces Nouvelles (FN) de Guillaume Soro, avec pour facilitateur le président burkinabé Blaise Compaoré, jusqu’alors présumé complice, voire tuteur, de la rébellion.
Avec l’Accord politique de Ouagadougou (APO), la voie était considérée comme ouverte vers l’élection présidentielle devant mettre fin à la crise. Après plus d’un report, l’élection a finalement lieu en octobre et novembre 2010. Au lieu d’aboutir à la fin de la crise tant espérée, à l’issue du deuxième tour, elle plonge la Côte d’Ivoire, plus d’un mois après la proclamation des résultats, dans une situation très embrouillée et présentée comme porteuse de plus de menaces que septembre 2002.